Des nouvelles d'Egypte ....

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Voici la lettre de Nagui qui me permet de vous faire partager le ressenti d'un Egyptien vivant ces évenements

Chers amis,

Si je ne descends pas à la place Tahrir pour manifester avec les autres dont certains sont de vrais amis, c'est pas pure lâcheté, je l'avoue. c'est terrible de se sentir lâche mais je sais que physiquement je n'ai pas la force de courir, de me faire bousculer, de risquer de perdre l'autre oeil avec lequel je vois et de devoir vivre aveugle le reste de ma vie! en plus, il est évident que tout ce qui se passe actuellement fait partie d'un grand jeu dégueulasse politique !  U
beaucoup d'entre vous m'ont écrit pour me demander comment je vais avec tous ces événements qui bousculent de nouveau et encore l'Egypte ! tout d'abord, je dois vous dire qu'ici a Héliopolis, on ne sent rien de ce qui se passe a Tahrir, c'est comme si on était dans un autre pays, ou les gens vivent tranquillement, font leurs courses, vont au restaurant, ( d'ailleurs j ai passe mon après midi hier dans un super resto a Hélio hier avec des amis), certes tout le monde parle de ce qui se passe a quelques kilomètres d'Hélio , a la place Tahrir, de la situation socio politique en général de notre pays, c'est tout ce qui intéresse tous les égyptiens maintenant qui sont devenus tous, du jour au lendemain, intéressés par la politique, après voir vécu une trentaine d'années loin de ce domaine compliqué et sombre!
ne des meilleurs pancartes que j'ai vues accrochées contre un mur crade dans un quartier populaire disait: Personne ne comprend plus rien ! C’est ce qui est vrai. Le vieux système politique est comme un monstre a trois têtes qui sort de la mythologie grecque: Moubarak, L'armée et la police ! Malheureusement il devient plus fort avec les jours et j'ai l'impression que le processus vers une démocratie sera beaucoup plus long que prévu !
le comble c'est la division qui se passe dans les rues égyptiennes: d'un côté, les révolutionnaires qui ont raz le bol de cette pourriture, d'autre part, des sympathisants du vieux système ( des gens qui n'ont jamais été intéressés par la politique et qui ne veulent que le retour de la stabilité reprenne ). il faut aussi ajouter a cela la télévision égyptienne qui joue un sale jeu en pointant du doigt les méchants révolutionnaires qui perturbent le pays, discours que pas mal d'égyptiens naifs croient.
Bref, pour dire que c'est très fatigant tout ce qui se passe, très décevant, très frustrant, très enrageant! malgré cela, on essaye de continuer la vie normalement, d'aller au boulot, de faire nos courses, de sortir, de faire comme si tout allait a merveille en Egypte. oui, la vie continue, pendant que de braves gens sont blessés, voire tués a quelques kilomètres de chez moi.
Les gens prient, essayent encore de s'accrocher à un miracle que le ciel, peut être enverra !


Nagui

 

Et cette lettre et celle d'un ami de Nagui

VOILA LE MAIL QU’UN AMI FRANCAIS  QUI SE TROUVE ACTUELLEMENT DE PASSAGE POUR UN REPORTAGE VIENT DE M'ENVOYER. IL EXPLIQUE LE QUOTIDIEN ASSEZ BIEN JE TROUVE. CONTINUEZ À PRIER, À VOTRE FACON, POUR NOTRE BEAU PAYS.
NAGUI.
 
Date: Tue, 22 Nov. 2011 15:11:55 +0100

Pas d'inquiétude à se faire pour moi, même si la situation change d'une heure à l'autre.

Suis arrivé à Suez hier soir, très mauvaise connexion dans l'hôtel, suspicion sur les étrangers (considérés en général comme des espions israéliens), mais je ne sors pas seul, connais déjà beaucoup de monde et Suez, fidèle à sa réputation, s'est débarrassé des flics dimanche, donc tout est calme pour le moment.

Déjà vu les grévistes, des frères musulmans, réfugiés pour insalubrité de leurs maisons. Je les revois ce soir, me la joue gentil et j'écoute les pbs.

Pas trouvé encore de traducteurs/ accompagnateurs, donc fatigué de devoir tout simplifier avec mon arabe baladi.

Déjà plein d'histoires à raconter sur les pbs de la ville : le chômage, l'habitat, les déplacés, la vie chère, les grèves qui ont commencé avant la révolution, comment l'ancien régime a fait de Suez un laboratoire pour les réformes libérales (carte santé et achat de nourriture subventionnée électronique en projet !) de Gamal Moubarak et ses sbires, l'habitat insalubre, le pb de l'eau (reflux des eaux usés qui inondent les maisons, paysans expulsés par la salinité des sols, pécheurs qui ne peuvent plus rien tirer tellement la mer rouge est polluée). Bref une ville industrielle riche qui a toujours maintenu sa population dans la misère, où pas loin.

Hier soir place Arbaeen, en arrivant à Suez, les voitures circulaient encore, on manifestait en solidarité avec Tahrir, et les Salafistes, très nombreux, assuraient le service d'ordre.

Suez a obtenu la médaille d'or de la guérilla urbaine, les flics et l'armée sont terrés.

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J'étais près de Tahrir, près du ministère de l'intérieur, dans la nuit de samedi à dimanche, impressionné de voir l'après-midi comment 150 irréductibles voulant légitimement ne pas quitter la place (une fin de manif violente en quelque sorte) ont réussi à enflammer le pays et à le remobiliser vers une seconde révolution qui se fout pas mal des élections (sauf les Frères assurés de les gagner haut la main). En fait, ce pays se mobilise autour des martyrs : dès que tu as des morts, la foule revient.

Là, la "bagarre" a dégénéré non seulement à cause des baltagui mais surtout à cause des bombes lacrymogènes suffocantes, brûlantes et évanouissantes d'un nouveau type.

Comme je n’étais pas loin, je me suis réfugié sous un porche, entre les flics et l'armée qui s'en prennent autant que les manifestants (le vent soufflait dans leur sens !).

 Le plus surprenant, c'est qu'à côté cette ambiance de guérillas urbaines où toutes les rues sont éteintes, les tanks campent, la foule s'y mélange encore (aucun contrôle pour passer les barrages) et que deux rues plus loin les vendeurs de rue portent un masque mais continuent à presser des oranges, et les taxis contournent wust el balad sans hésitation. Samedi dernier, même les vendeurs de barba papa continuaient à naviguer sur Tahrir, au gré des mouvements des combattants et du lancement de bombes lacrymo, les voitures essayaient de s'y aventurer aussi. Derrière, les cafés sont pleins à regarder Al Jazeera alors que tu entends le bruit des tirs en même temps. Bizarrement, la télé rend les choses beaucoup plus dramatiques (focale sur les combats) que ce que tu peux sentir sur la place, qui se vide et se remplit, se calme et redevient violente, comme une météo après cyclone, très localisée.

 

J'essaie de te tenir au courant des suites, si j'arrive à me connecter et si la fatigue ne prend pas le dessus. Je nage en eaux troubles, mais je surfe encore bien.

Bz

 

@ +

Publié dans EGYPTE

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